Les terrasses où il fait bon vivre
Les terrasses sont omniprésentes à Alger. Celles de la ville ancienne apparaissent uniques en leur jour.
"On dirait une carrière de moellons à ciel ouvert, un immense tas de pains de blanc d'Espagne" écrivait Théophile Gautier
La construction trè particulière des maisons de la médina fut déterminée par le site des collines qui imposait l'étagement en gradins, par la necessité de protéger la cité à l'intérieur de remparts, mais aussi par le mode traditionnel musulman qui enferme la vie domestique et la protège du regard extérieur. "Comme les Maures ne veulent pas que leurs femmes ou leurs filles voient au-dehors ou soient vues, ils ne font pas ouvrir les fenêtres sur les rues.
Dans ces maisons, qui ignorent donc les fenêtres et balcons et ne reçoivent le jour à l'intérieur que par l'ouverture d'un patio central inspiré des traditions aussi bien arabo-andalouse que romaine, la terrasse apporte aux femmes confinées une possibilité de séjour à l'extérieur en toute liberté. Elle se substituait en outre à la rue réduite au minimum, parfois engloutie sous des voûtes et pratiquement réservée aux hommes
Toutes les habitations se rejoignant plus ou moins en hauteur, la surface des terrasses juxtaposées se trouvait parallèle à celle du sol, et fournissant une sorte de réseau de circulation, une promenade pour les femmes : Au matin notamment la cité étant orientée vers l'est, le lever de soleil sur la mer offre le plus beau des spectacles.
Le climat qui permit de remplacer les toits de tulies berbères par la couverture des terrasses favorisa le rôle social de cette" cité aérienne"
En l'absence des jardins dans la ville ancienne, les uns et les autres eurent la possibilté de se retrouver à l'air libre et de jouir des moments de fraîcheur autant que de la vue. Un grand nombre d'activités familiales et domestiques trouvèrent tout naturellement leur place sur cet espace de vie privlégiée, en dehors des heures de forte chaleur
La grâce toute spéciale des terrasses du vieil Alger vient enfin des ornements : les dômes qui coiffent les salles à coupoles et le haut des escaliers les parapets protecteurs et surtout les merlons des cheminées en forme de piques," ces cylindres de poterie terminés en bulbes à jour"
Dansla journée, ces terrasses sont avant tout le domaine des femmes qui y vivent à leur guise et loin des regards...Elles y puisent "leur part de rêverie et d'espérance", en contemplant du haut de cet observatoire stratégique, l'arrivée des vaisseaux au temps des corsaires...
Sur les terrasses, les Algéroises se distraient avec leurs parents et leurs voisines, lorsque la chaleur décline, pour bavarder, se délasser, prendre un café...tout en grignotant les délicieuses pâtisseries orientales exposées sur les plateaux en cuivre qui garnissent les tables basses polygonales ,les traditionnelles "imaada" en bois de cèdre
Quel plaisir que de peindre ces femmes aux costumes chatoyants; qui ont peu varié au fil du temps: sarrouals, longues vestes à basques ou caracos à la taille, foulards brillants dans les cheveux ou autour des reins
Emile Deckers, brillant portraitiste parlait en connaisseur de cette fantaisie et notait son impression très gracieuse, sur les terrasses de la haute ville avec les Algéroises rieuses, tout en fôlatrant en rose en vert sur le blanc à peine bleuté...