Eugène Delacroix ,"Femme arabe assise à terre , et études des boutons , études pour les femmes d'Alger" vers 1833 - 1834 pastel sur papier beige , Louvre DAG photo RMN / Micheèle Bellot
Delacroix , Chassériau et Fromentin
Ces trois artistes, " un génie et deux grands peintres " , ont ressenti et retransmis un même enthousiasme pour l'Algérie et ses habitants. Certes, pronfondément imprégnés de la culture de leur époque, tous trois virent les choses au travers d'une intellectualité particulière, mais la volonté d'observation qu'ils appliquèrent à la découverte d'un monde si différent du leur n'en demeurera pas moins exemplaire
Delacroix, en 1832, avait pour destination le Maroc où il resta cinq mois et dont il rapporta de quoi féconder son oeuvre à venir. Ce fut pour lui, " une foudroyante révélation qui devait illuminer toute sa vie."
Trois brèves journées à Alger, pendant lesquelles il put pénétrer dans un harem, lui suffirent pour imaginer ce qui deviendrait les femmes d'Alger, l'un des chef-d'oeuvre de la peinture une icône admirée au même titre que la "Joconde" . Par l'intime symbiose qui s'instaura entre le peintre et ses modèles, un monde d'intentions et de sous-entendus affleurait sur la toile. Les dessins préparatoires du tableau montrent bien à quel point " "l'artiste a tenu à échapper à l'exaltation pour se retrouver en un équilibre unique, impressionnant, débordant de vie continue, tout intime, tout intellectuelle" Tous les croquis, toutes les aquarelles de ce séjour le disent comme son journal ou ses lettres. Delacroix ne cherchait pas le sujet, mais l'âme des gens et des choses, l'essentiel l'intemporel. Avec ses carnets, dans lesquels il jeta son " impression jaillit toute neuve et toute frémissante".Il fit autant que dans ses oeuvres les plus importants et " rien dans l'histoire de l'orientalisme ne peut être comparé à cette série de notations générales où revit toute une civilisation " Fromentin après avoir vécu sa propre éxistence, confirmait qu'il fut " le vrai maître, le souverain traducteur de la grâce et de la force arabe "
Théodore Chassériau : Jeune taleb assis / Huile sur panneau 1850 / 13,5 x 13,2 cms courtoisie Etude Briest
Chassériau, déjà dispose par ses origines créoles à ressentir les attraits de l'éxotisme, enrichit en Algérie " sa concentration de la couleur sans guère modifier son idéal féminin /.../ On le voit évoquer un Orient coloré et d'une humanité étrange qui mêle les traditions grecques, les souvenirs africains et l'Asie mystérieuse
De Constantine, en mai 1846, le peintre écrivait à son frère : " Le pays est très beau et très neuf. Je vis dans le "Mille et une Nuits" Je crois pouvoir en tirer un vrai parti pour mon art." Il peignit les chasses et des chefs maures se défiant avant le combat, ou ces " cavaliers arabes enlevant leurs morts" qui figurent parmi ses chefs-d'oeuvres. L'un des premiers , il observa le quotidien : les marchés aux chevaux, les abreuvoirs, les campements , la vie familière dans les intérieurs où les femmes filent la laine et bercent leur enfant, les réunions de danse où l'école coranique. Comme Delacroix il ouvrit ses carnets d'animations fébriles et consigna les sujets qu'il aurait aimé traiter par la suite, s'il n'était mort prématurément.
Fromentin désirait vraiment pénétrer dans l'intimité du peuple et exprimer l'originalité du Maghreb. Il reprochait aux artistes qui venaient en Algérie d'y faire un simple voyage d'exploration et de ne rendre que l'apparence des choses, de se laisser séduire par le côté pittoresque et d'en ignorer l'essence profonde . Il affirma avec force sa détermination. Parlant de cette " terre étrangère où jusqu'à présent je n'ai fait que passer" , il décidait " cette fois, je viens y vivre et l'habiter, c'est à mon avis le meilleur moyen de beaucoup connaître en voyant peu, de bien voir en observant souvent...J'y prendrai des habitudes qui seront autant des liens plus étroits pour m'attacher à l'intimité des lieux. Je veux planter mes souvenirs comme on plante un arbre, afin de demeurer de près ou de loin enraciné dans cette terre d'adoption" La nouveauté de sa vision provoqua une sorte de révolution.
La publication en feuilleton de son " Année dans le Sahel " dans la " Revue des deux mondes " en 1858, suscita bien des départs et son anlyse de la vie et de la lumière du Sud algérien dans " Un été au Sahara ", modifia la perception générale de cette région. Les deux oeuvres restent " Les synthèses le plus intelligentes et les plus riches de sensibilité que l'on ait consacrées aux aspects divers de la civilisation et du pays algérien" On reproche généralement à sa peinture d'être forte que ses textes littéraires , et lui-même reconnaissait dans l'une de ses lettres : " Je vois joli et pas grand ; c'est peut-être tous mes défauts celui qui me désole le plus, parce que c'est un défaut de la nature qui ne sera jamais tout à fait corrigible. Il développe en effet, le côté tendre et élégant de son talent en essayant " d'analyser les effets de transparence de l'atmosphère et de se donner une certaine distinction aux scènes orientales, distinction de tous, de composition et d'attitudes"
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