Clef de voile Tamanrasset
Il me sourit faiblement
-Ah,Gabriel , le juste , le droit Jibrail!Et le plus loyal de mes khodja...Tu dis vrai , mais c'était dérisoire et infamant.Cette malheureuse histoire me laissa un goût amer,sans tenir pour autant l'amitié que j'ai eue pour cet homme.Alors,les relations avec la France étaient excellentes.Ensuite,voilà trois ans , Jeanbon Saint-André...apres l'épisode Herculais, cet incompetent envoyé par le comité du Salut public,en 95 également,pour "inspecter les consulats "!Il a fait beaucoup de torts , clui-là et n'a rien compris.Quant à Saint-André , je crois que ce soit un fat.N'a t-t-il pas déclaré , il y a quelques mois,en remettent les sceaux à son successeur Moltedo:"J'avais trouvé ici la France à genoux:Je vous la laisse debout "!Et le dernier ,je n'ai pas eu le temps...Mais cela augure mal de l'avenir , il suffira d'un rien,d'une discorde total...En ettendant,faute de pouvoir traiter en toute confiance avec le consul,nous devrons nous en remettre à des intermediaires...Les ventes vers la France transitent sytsématiquement par Bacri et Bousnach.Plus rien ne leur échappe.Les dernieres ventes de blé pour Bonaparte en sont l'exemple.Ils ne sont pas payés.Cela évolue mal.C'est pour cela,Gabriel que ce que je vois...
Il eut un soupir, une vague de douleur contre laquelle il ne pouvait rien.Même sa colère était impuissante,une force autrement supérieure le submergeait : il ne pouvait plus lutter.Je le sentais partir,j'avais peur.C'est exactement cela,une peur primordiale , qu'il ne m'abandonne.Et je me rends compte à quel point cet homme avait compté pour moi.
Qu'allait-on retenir de lui?Un Dey ,emporté par la maadie,celle qui empeste ,un stigmate de la pauvreté,d'un pays en lutte contre...Je ne savais pas quoi.Mais il y avait pour moi une certitude,l'Algerie toute entière souffrait à travers lui.Qu'était-il?Un Ottoman au service de la Sublime Porte?Elu par les Janissaires,comme les autres,il avait su montrer sa force , un sens certain de la politique et, je le savais mieux que personne , des ambitions pour ce pays,ce que j'appeleais ses "utopies".J'en avais été l'instrument , ô combien malhabile, alors qu'il m'avait sauvé , donné un statut , une identité sans laquelle...
-Maître!Je vous en prie, écoutez -moi!Pour moi aussi ,il est temps de vous...avouer.Cette dernière mission à Fès...excusez-moi d'être aussi direct,j'imagine ce que peut être votre souffrance...et je crains fort de l'aggraver encore par mes aveux , mais je ne puis vous cacher ce qe je suis.Cette mission fut terrible.Je vous ai rendu compte,à mon retour , de ses aspects diplomatiques.J'avais obtenu ces informations de la bouche même de Si A bderrahmane.Mais je ne vous ai pas tout dit.Si je ne lui dis pas maintenant , jamais je ne trouverai le repos.
-J'ai tué l'Inconnu.C'est la verité.Il l'a voulu, il m'y a poussé,c'est aussi la verité.C'est à cause de la princesse.Je n'ai pas supporté.Il ne l'aimait pas.Il la méprisait
-Je sais Gabriel.Ne m'as-tu pas,toi-même,annoncé sa mort à ton retour?A propos d'elle justement ,tu dois rester.Ne jamais la quitter.Je pars avant elle,c'est normal...mais je pensais veiller sur elle quelque temps encore?Allah n'en a pas decidé ainsi?
.C'est à toi , à toi seul que je veux confier cette ultime mission:ne pas la quitter jusqu'à ton dernier souffle.Promets -moi!
-Je vous le promets
Je voulais ajouter devantage,lui dire que je ne souhaitais que cela,que depuis des années,je lui restais fidèle,à elle,que ma vie était aupres de Khedaouedj.Le courage m'a manqué.Dans un ecces de pudeur et de lâcheté ou peut-être parce que je n'avais pas eu conscience jusqu'alors de mon attechement pour elle...
-Cela ne te sera pas difficile, je pense.J'ai toujours su que tu avais pour elle...Enfin,c'est ainsi et j'en suis heureux.C'est bien la seule joie qui me reste.Alors voilà,prends ces documents .Dans la première enveloppe,tu trouveras le titre de propriété du palais,c'est pour elle.Dans la seconde,ce sont tes papiers.Les nouveaux.Je les ai faits faire la semaine dernière.Tu t'appelles Jibrail Ibn Ghali,émir originaire de Damas.Gabriel, l'esclave andalou,n'existe plus.Il a fait cela .Bientôt , je ne serai plus là pour vous proteger
Je suis rentré directement rue Socgemah.Hassan Pacha passa quelque heures plus tard avant le coucher du soleil.Comme dans un rêve, je me voyais , non pas maintenant , mais lors de mon arrivée,vêtu de haillons,quand je suivais le majordome qui venait de m'acheter sur le port.Les rues avaient peu changé.Quelque palais avaient été construits,dont celui de mon maître,d'autres avaient été rénovés;les travaux de la nouvelle Mosquée de Ketchaoua étaient achevés.Malgré ces changements sensibles,je voyais A lger avec le même regard.Sauf que l'esclave Andalou n'existait plus.C'est ce qu'Hassan Pacha venait de dire en me donnant officiellement une nouvelle identité.Je me souvins alors combien j'avais rapidement compris que je ne reverrai plus jamais l'Espagne natale.J'avais tres vite accepté cette rupture et je crois bien que je n'avais cessé de la désirer,du moment où je posais les pieds sur la terre d'Algérie.La mer éblouissait la baie dans ces reflets argent et renvoyait sur la ville une lumière exceptionnelle.Cette luminosité m'avait aveuglé dès mon arrivée,au sortir de huit jours à fond de cale...Puis mes yeux s'étaient habitués
Toutes ces années au service du Dey avaient effacé mes origines et mon identité.De Gabriel,l'esclave andalou,j'étais devenu sans bien m'en rendre compte,chargé de mission confidentielle pour lesquelles il prenait l'identité d'Ibn Ghali , fils d'émir...l'ultime déformation de mon nom!A force de les être tous ,je n'en étais aucun.Sous le poids d'un nom, sans racines.Un transfuge.Je ressentais un delicieux soulagement celui de ne plus être à force d'être trop.Comme un trop plein qui me tirait dans le vide,immuable,que je poursuivais depuis toujours.Je n'étais rien.Je retrouvais la maison calme et silencieuse, on malaise s'est alors dissipé.Elles dormaient toujours.Je regagnais ma chambre et sombrais dans le sommeil à mon tour.