Heubier de Tlemcen :dinanderie
J'ai peu à peu découvert ce que Hassan Pacha attendait de moi :retrouver l'Inconnu pour entrer en contact avec lui.Sidi Mohammed en 90 et le bref épisode de Moulay El Yazid,son turbulent fils , avaient fortement déstabilisé le pouvoir alouite , déchiré par des luttes fracticides qui perduraient , laissant le royaume exsangue...
Hassan Pacha voulait néanmions renouer avec le Sultanat.La Régence , soumise à d'incessants troubles permanents sur sa frontière voulait des assurances.Et c'est pourquoi il m'envoyait à Fès.Nous étions en mai 94
-Gabriel ,te souviens-tu ce visiteur venu de Fès?
Il cherchait ses mots , gêné d'avoir à me révéler maintenant ce qu'il avait tenu à me cacher alors.
-Excellence , je comprends fort bien de ne pas être l'homme de la situation...
-Non !tu es celui qui convient.
-Ce n'était pas prévu.Ni lui, ni moi n'avions envisagé cet aspect-là des choses.Nous avions tous deux plusieurs objectifs en tête.Pas simplement la stabilité du politique.Il y avait les questions économiques .Mais les deux ne sont-ils pas liés?Comment ne pas être tenté d'user de l'un pour construire l'autre?Il faut reconnaître que loin de faire front commun , chacun jouait pour son propre compte , tout en maîtrisant fort mal le processus économique aux mains d'étrangers.Tu n'es pas sans le savoir , nous convînmes d'un accord avec la Maison à Marseille qui bénéficie aussi du monopole d'Afrique
Si le comerce s'en trouva amélioré , son contrôle nous échappa totalement .Alors que le Dey avait, e une dizaine d'années , réussi à se soustraire au contrôle politique de la Sublime Porte , à prendre la main sur la Course à la place de la Taifa , il fallait maintenant convenir que le pouvoir économique était en passe de tomber aux mains des marchands européens et juifs...
Chez notre voisin chérifien , la tendance était et reste similaire.Les concessions sont frquentes sur les grands ports;l'ouverture sur l'Atlantique était jugée prioritaire et la Course fut freinée , en passe d'être interdite purement et simplement .Mais les caisses du Sultan ne se remplissent pas plus que les nôtres , alors qu'il doit dépenser beaucoup pour se maintenir en place.Il est à craindre que l'être du pouvoir unique et souverain régissant tous les aspects de nos sociétés soit bel et bien révolue avant même d'avoir pu être consolidée...A moins de trouver de nouveaux alliés ...Je veux trouver une réelle force d'appui coordonnée...un contrepouvoir...à l'occident.C'est cela que je veux m'employer.Il faut que tu ailles à Fès , que tu le rencontres , le sondes , apprécies l'évolution de ses idées qui m'avaient paru assez proches des miennes...
Et puis , je n'ai pas fini...Il s'agit d'elle.Je n'ai jamais pu oublier que sa maladie a commencé dans les jours qui ont suivi son départ , à lui.Je veux savoir ce qui s'est passé
Dar El Azrak-Fès mai 1794 Journal de Gabriel
J'étais , sous une fausse identité , un bon Musulman de retour du Pèlerinage , hormis le risque de se faire dévaliser
Hassan Pacha m'avait donné une lettre de recommandation et une adresse à Fès , pres de Bab Boujloud :Dar el Arrak , la Maison Bleue
Rien de la rue ne laissait soupçonner des espaces aussi vastes et richement décorés que ceux que je decouvris là.C'était une maison luxueuse qui rappeleait notre palais...
Un homme encore jeune était assis dans un angle du grand salon patio.Immobile , il semblait méditer.Je le reconnus immédiatement:L'Inconnu ou plus exactement Si Abderrahmane El Arbi.Au bout d'un long moment , il leva vers moi ce regard de félin qui m'avait tant frappé bien des années plus tôt.Il se leva ,me salua longuement.L'esquisse d'un sourire vint ponctuer le cérémonial , signe habituel de l'hospitalité et non d'une quelconque amitié...
-Vous serez surpris,inquiet peut- être de tant de precautions.Mais il le faut.Mes activités ne sont pas de goût de tout le monde à Fès.Et je suis tres surveillé.Même en ma demeure.
J'étais dans un embarras proche de la panique
-Hassan Pacha ,donc,s'interroge.Il voudrait ,par mon intermédiaire , connaître votre appreciation de la situation actuelle.Les temps ont changé ; certains problèmes s'amplifient .Des tensions apparaissent.Mon maître , tout en souhaitant connaître l'état de vos reflexions , reste fidèle...à vos echanges.Il y retrouve , aujourd'hui plus qu'en ce fameux hiver , peut-être une possibilité reelle de ...rapprochement , enfin de front commun, de collaboration.Il n'en veut pour preuve que...
Il me laissa poursuivre
-Plus concrètement , dans la situation politique actuelle , les relations commerciales se développent de façon aléatoire,reconnaissons-le.Le Dey voudrait y mettre un frein,voire une fin , en retrouver la maîtrise plus exactement.Mais tout nous échappe.Les états européens nous sollicitent peu,prefèrent se tourner vers des négociants...Son regard me glaçait;il m'angoissait.Ce fut sa froideur extrême, à la limite du mépris , qui me sauva d'un echec total
-Notre situation est bien souvent identique à la vôtre:il y a des gens en place,ils ont des contacts.Ce sont les affaires...
-Cétait dit.Ces mots m'écorchaient les lèvres , pourquoi?Sentiment instinctif de trahir encore ma foi , mes convictions , ma naissance et ma terre?De me renier une fois encore?Pour toujours , je serai un mauvais rénégat , coupable d'une eternelle duplicité , à la solde d'un régime peu scrupuleux et affaibli , entreprenant des pourparlers avec une puissance doublement ennemie :de ma terre natale , de mon pays d'adoption...Je me faisais honte , la pire de ma vie
Je m'étais insensiblement tassé sur mon banc ;en levant les yeux , je fus terrifié par mon interlocuteur , si grand, si fier , hautain.Une noblesse à laquelle je ne pourrais jamais pretendre...Etait-ce pour cela qu'elle avait succombé?Qu'elle s'était enfermée dans la mélancolie ?Cette image me frappa à un tel point que j'en fus révolté!Ma vie ne valait elle-pas la sienne?Mon caractère n'égalait -il pas le sien?Alors pourquoi?Contre toute attente , il se montre ouvert:
-je sais combien votre mission est difficile, bien plus que la mienne à Alger.N'ayez crainte, je vous entends .Je ne peux malheureusement parler qu'en mon nom , contrairement à vous et à titre tout à fait confidentiel.Vous le savez , Moulay Sliman a fort à faire.Les confréries tres actives,sont difficiles à contrôler.Je fais partie de ceux qui s'y emploient au nom du Sultan.Mais personne en maîtrise rien...Nous sommes des gens de Foi , de tradition et...d'allegeance.Mais cela n'est pas sans creer des tensions quand le pouvoir est nouvellement en place.Il nous faut du temps.Preserver la tradition , y puiser les forces nouvelles.Ensuite, être attentif.Vous ne le savez sans doute pas, mais je suis tres proche de certaines confreries, affilé même à deux d'entre elles.Non par goût du pouvoir,par reelle affinité.Si l'on recherche des combattants , au nom de la Foi,tous sont prêts , moyennant une solde.Si l'on veut la paix , la prosperité , l'allégeance , il faut davantage de temps et reflechir , être prudent.
-Les Deerqawa.Une confreie,dirrigée par le chérif Mohammed El Arbi.Ambitieux , il exerce une forte attraction sur tous ceux qui l'approche.
-Je connais Moulay El Arbi..Je vous demande quelques jours ,et nous irons ensemble
Et c'est ainsi que je restais trois mois à Fes.Je restais à Dar el Azrak.Je ne manquais de rien...sauf d'Alger.Et puis , un matin de septembre , un envoyé d'Abderrahmane se presenta.Nous devions rejoindre le mausolée de Moulay Abdeslam ben Mechich, berceau de la confreie des Derqawa